Au nom du Dieu unique, qui est l’aimant, le bien-aimé, et l’amour débordant. (Amen)

Que désires-tu?

C’est la première question qui vous est posée quand vous êtes reçu comme postulant dans une communauté monastique, et cette question vous est à nouveau posée quand vous recevez l’habit de novice, et on vous la pose encore quand vous faites les trois vœux bénédictins d’obéissance, de stabilité, et de conversion de vie dans la voie monastique.

La question du désir conduit à la Voie bénédictine, et même à la Voie Chrétienne. Dans sa Règle pour les moines, Benoît donne une réponse très simple et très difficile: ne rien préférer au Christ.

Vous voyez, Benoit savait que, contrairement à l’image du monachisme dans la culture populaire  comme étant une vie austère et sérieuse, la vie monastique est vraiment une histoire d’amour. Depuis 1500 ans la règle de Benoît a fourni une structure et un contexte pour poursuivre le plus profond désir du cœur de complétude et d’unité avec Dieu. La tradition mystique chrétienne appelle cette recherche la poursuite de la “pureté de cœur,” bien que  nous puissions la décrire plus justement comme “unité de cœur,” ce qui revient à dire l’unification de tout notre être – corps, esprit, cœur – centré sur l’amour de de celui qui est lui-même Amour.

Les communautés monastiques ont toujours été des lieux spacieux dans un monde surpeuplé. Cet espace était certainement ce qui m’a attiré dans la vie bénédictine. Toute ma vie, j’ai été poussé par un désir si profond et si puissant que je ne pouvais pas lui trouver de nom. Ce désir était un secret brûlant au centre de ma vie. Et chaque contexte dans lequel je me trouvais était tout simplement trop petit pour le retenir ou me retenir.

Quand je suis venu à Sainte-Croix, où je suis maintenant moine, j’au eu l’intuition que j’avais finalement trouvé une place avec assez d’espace pour ce désir. C’était certainement l’un des rares endroits où j’avais trouvé des gens qui hochaient la tête en connaissance de cause quand je mentionnais ce profond désir sans nom. Je vous mets au défi d’essayer de parler de désir à l’heure du café après un service, et notez comment les gens vous regardent.

Je me souviens notamment d’Andrew. C’était un vieux moine écossais avec un sens de l’humour mordant, qui s’asseyait avec moi lors de mes visites au monastère. Il m’a regardé droit dans les yeux, il a regardé profondément dans mon cœur comme seuls ceux qui ont vécu la vie de foi pendant des décennies peuvent le faire, et il a dit: “Je t’aime.” Et comme les larmes coulaient sur mon visage, il a dit , d’une voix qui me disait qu’il comprenait: “Oui, ça fait mal d’être aimé.”

Ça fait vraiment mal d’être aimé. Et ça fait aussi mal d’aimer. Ce qui est probablement une des raisons pour lesquelles beaucoup d’entre nous évitent d’aimer aussi pleinement, profondément et librement que Jésus nous appelle à le faire. Dans ce monde si souvent étroit d’esprit, amer et violent (et ce de plus en plus) nous endurcissons nos cœurs pour les empêcher de se briser. Mais c’est seulement le cœur brisé qui a assez d’espace pour aimer comme nous le devrions. Et c’est seulement en se brisant que nos coeurs se transforment de la pierre à la chair.

La vie monastique participe, ici et maintenant, à l’éternité. C’est le secret de son espace considérable . Dans la consécration du quotidien, la règle de Benoît met en évidence la sainteté de la vie incarnée où, comme il le fait remarquer, les outils de la cuisine ou du jardin sont aussi précieux que la vaisselle de l’autel. Avec l’éternité comme contexte, il y a assez d’espace pour qu’apparaisse toute la vie d’une personne.

Comme ce processus est différent du processus d’éducation, de construction de l’identité et de réussite dans la société contemporaine et même dans l’Église d’aujourd’hui ! Dans la vie bénédictine, vous ne «devenez pas». Vous ne «faites» rien. A la place, au cours de votre vie, vous vous abandonnez au désir de Dieu pour recoller les fragments de votre vie pour que, ce qui semblait mutilé, laid, ou honteux devienne, à travers le mouvement persistant et aimant de Dieu, beau, entier, et saint.

La vision bénédictine de la vie chrétienne, en fait, affirme que ce sont précisément ces parties de nous-mêmes que nous aimerions le plus dénier qui sont les portes de la sainteté. Nous ne devons pas abandonner les fragments intérieurs honteux, ni les exiler ou les effacer, comme si c’était en notre pouvoir. Non, nous devons permettre à Dieu, dans le contexte de notre vie communautaire, de guérir et de transformer ces parties afin que elles aussi transportent un sang nourrissant dans tout le corps.

Si ce mouvement vers la complétude est vrai au niveau individuel, combien plus vrai est-il pour la communauté. Pour les bénédictins, le salut n’est jamais individuel. Il est toujours communautaire. Chaque membre de la communauté monastique est essentiel à la santé de tout le corps, chacun ou chacune a son unique contribution à apporter. Quand un frère ou une soeur a besoin d’un médecin, la communauté en fournit un, qui peut inclure des mesures disciplinaires, jamais dans le but de punir ou d’humilier mais toujours de guérir, de transformer et de réintégrer ce frère ou cette soeur dans le corps de la communauté, où leur épanouissement est notre épanouissement.

Aucun d’entre nous ne peut être sauvé isolément. C’est tous ou aucun d’entre nous. Parce que l’amour n’est jamais définitivement satisfait. Comme n’importe quel moine ou n’importe quel amant vous le dira, plus votre désir est satisfait, plus profond ce désir devient. Cela n’a pas de limite, parce que, finalement, notre désir est d’être en union totale avec celui qui nous a créés et qui nous soutient, celui dont l’Amour est notre vrai nom et notre vraie nature.

Plus je vis la vie monastique et chrétienne, plus je suis convaincu que ni personne et ni rien n’est au-delà de l’amour de Dieu. Et que, aussi sombre que soit l’époque dans laquelle nous vivons, Dieu travaille toujours, à travers chacun de nous, à briser le cœur du monde afin qu’il devienne un cœur de chair.

C’est une vision difficile dans les temps dans lesquels nous vivons. Les forces du mal tourbillonnent autour de nous et elles semblent resserrer leur emprise plutôt que de la relâcher. Et pourtant, même et probablement surtout, quand le mal semble le plus fort, nous sommes d’autant plus appelés à permettre à nos coeurs de s’ouvrir et à aimer sans réserve.

Je comprends l’impulsion de soumettre et vaincre le mal. Mais de telles impulsions violentes font en réalité partie de l’emprise du mal sur nous. Bien que nous puissions et devons résister au mal, nous ne pouvons jamais le détruire. Tel n’est pas notre pouvoir. Au contraire, nous sommes appelés à rendre témoignage à celui qui peut guérir et intégrer le mal, à celui qui peut briser le mal et transformer même le cœur le plus dur en chair. Nous sommes appelés à montrer le chemin, à travers nos propres cœurs de chair, à celui qui peut transformer et convertir le mal en bien, pour qu’à la fin, même Lucifer porte de nouveau la  lumière de Dieu.

James Stephens exprime  magnifiquement cette idée dans son poème “La Plénitude du Temps”

Sur un trône de fer rouillé

Passé l’étoile la plus éloignée de l’espace

J’ai vu Satan assis seul,

Vieux et exténué était son visage;

Parce que son travail était fait et il se

Reposait dans l’éternité.

Et à lui venant du soleil

Vint son père et son ami

Disant, maintenant le travail est fait

L’inimitié est terminée :

Et il guida Satan à des

Paradis qu’il connaissait.

Gabriel sans un froncement de sourcils,

Uriel sans une lance,

Raphaël vint en chantant

Accueillant leur ancien pair,

Et ils l’ont assis à côté de

Celui qui avait été crucifié.

Il n’y a rien ni personne qui, en fin de compte, n’appartienne pas à Dieu. Il n’y a aucune partie de nous, individuellement ou collectivement, qui  ne puisse être atteinte par l’amour de Dieu qui guérit et réconcilie. Et si nous suivons les profonds désirs de notre cœur, si nous ne préférons rien au Christ et laissons l’amour du Christ briser et remplir nos coeurs, qui sait quel genre de sanctuaire spacieux nous pourrions devenir?

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